Avec Claudine LEBÈGUE , A MA ZONE II , Lettre de démission
12/10/2017
Lettre de démission
Il est interdit de mendier et de troubler de quelque manière que ce soit la tranquillité des voyageurs dans le métro sous peine d’amende.
Dommage pour tout le monde. Moi, dans le métro, j’ai appris à chanter. C’est ma plus grande école, mes hautes études, mes hauts fourneaux. J’ai appris à viser. J’ai appris ce que donner une chanson veut dire. J’ai appris à recevoir le regard des autres. Et mes voyageurs visiblement, portaient bien leurs noms. Ils voyageaient, on voyageait, tout le monde voyageait. Et tout ça dans un commerce très équitable puisque chacun donnait ou pas ce qu’il pouvait, et ce qu’il voulait. Le métro, voilà une école gratuite pour les artistes et d’utilité publique.
Ainsi donc, après ces quatre années passées dans vos boyaux, chère RATP, j’arrive au terme de ma formation et en qualité de chanteuse pulmonaire, je m’en vais chanter à l’air libre et je me casse en emportant la caisse, c’est-à-dire : votre odeur de sueur, vos bruits de couloirs, vos portes plaintes, la voûte pisseuse de vos cieux, le soleil blême de vos néons, vos bouffées de chaleur, les hurlements de vos freins, les râles de vos pensionnaires, j’emporte tout, avec moi et pour toujours. Je m’en vais chercher l’inspiration, l’expiration, d’autres airs pour les poumons de mon biniou, mais je garderai à jamais, dans les souterrains de mes chansons, la voix de chemins de fer que vous m’avez ouverte.
Salut
J’ai aimé
Paris 1983
Claudine LEBÈGUE, A MA ZONE II ,
Editions LA PASSE DU VENT, 2014, p.54